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Les dangers du surdiagnostic

Aujourd’hui de nombreuses campagnes nous incitent à pratiquer un dépistage systématique du cancer du sein, de la prostate, du colon, etc. Certes mieux vaut prévenir que guérir, mais cette démarche présente elle aussi des risques parfois plus importants que les bénéfices escomptés.

«Faites-vous dépister ! » c’est le nouveau refrain des autorités sanitaires. Un air qui n’est pas sans rappeler le « Faites-vous vacciner ! » et ses tristes conséquences. Sur ce terrain, le cancer est particulièrement bien « loti » et cette nécessité de faire monter en puissance le dépistage fait clairement partie des priorités du nouveau plan 2009-2013. À un rythme de plus en plus rapproché, les campagnes de dépistage des cancers du sein, du col de l’utérus, de la prostate, du côlon, de la peau, se succèdent.

Or cette démarche n’est jamais simple, contrairement à ce que voudraient nous faire croire les pouvoirs publics. Premièrement, parce qu’il y a toujours des marges d’erreur sur les résultats de ce type d’examen. Deuxièmement, parce que certains dépistages peuvent avoir des effets secondaires. Troisièmement parce que le postulat – plus on soigne un cancer tôt, plus on a de chance d’en guérir – n’est pas vérifié. Et si notre propos n’est pas de nous opposer par principe au dépistage, il nous semble nécessaire que chacun ait conscience des limites et parfois des risques qu’il peut engendrer

Le cancer du côlon et du rectum

Responsable de 15 000 décès par an, ce cancer est le deuxième cancer le plus fréquent chez la femme et le troisième chez l’homme. Son dépistage prend une forme différente selon le terrain familial.

Le test Hemoccult II

Il s’adresse aux personnes de plus de 50 ans sans antécédent digestif personnel ou familial. Il consiste dans la recherche de sang frais dans des selles émises trois jours de suite. Si aucune trace n’est retrouvée, un nouveau dépistage est pratiqué deux ans plus tard ; si du sang est retrouvé, la coloscopie est alors pratiquée.

Cet examen a malheureusement des limites gênantes : le test Hemoccult II peut donner des faux positifs en cas d’ingestion importante de viande rouge, d’aspirine ou d’anti-inflammatoires, de saignement hémorroïdaire ou gynécologique, etc., de sorte que seulement un peu plus de 10 % des coloscopies pratiquées dans la foulée confirme l’existence d’un cancer colorectal. Plus grave, le test Hémoccult II revient négatif chez près de 50 % des personnes porteuses d’un tel cancer !

La coloscopie

Elle est proposée d’emblée à toute personne présentant des antécédents digestifs personnels ou familiaux, cancéreux ou apparentés (polypose, maladie de Crohn, etc.). Comme elle ne donne qu’une photographie à un instant précis, elle doit être répétée à un rythme d’autant plus rapproché que le risque de dégénérescence est considéré élevé.

Il faut savoir que la coloscopie, si elle se banalise, n’est pas pour autant un examen banal. Elle nécessite le plus souvent une anesthésie générale et la surveillance en unité de réveil pendant le reste de la journée en raison de complications, certes rares (0,2 % des cas), mais possiblement sévères. À noter que ces complications peuvent ne se révéler que dans le mois qui suit l’acte médical… Ce sont, par ordre de fréquence décroissant : une hémorragie digestive, une perforation intestinale, une poussée de colite diverticulaire.

Finalement, ce serait, au mieux, une personne sur 600 invitées au dépistage du cancer colorectal qui éviterait d’en mourir. Le dépistage de ce cancer est donc d’efficacité modeste, et en plus, dans le cas de faux négatifs du test Hémoccult II, il risque d’induire un sentiment de sécurité particulièrement trompeur.

Le cancer de la prostate

Le dépistage du cancer de la prostate est basé sur le dosage du PSA, un antigène spécifique de la prostate. Spécifique de la glande, mais pas de son cancer : en effet, son taux augmente également dès qu’il y a inflammation ou/et infection. C’est donc un examen d’interprétation difficile et en tout cas sans signification définitive s’il est pratiqué isolément ! Un toucher rectal, une échographie et une ponction biopsie sont nécessaires pour confirmer le cancer.

Les bienfaits du dépistage sont loin d’être démontrés. D’ailleurs, en 2004, la Haute Autorité de santé (HAS) estimait ne pas pouvoir le recommander de façon systématique. Les résultats d’une récente étude européenne l’ont amenée à revoir ses positions et à s’aligner sur l’Institut national contre le cancer. L’étude en question portant sur 160 000 hommes indique que la mortalité chuterait de 20 % chez les personnes dépistées et suivies pendant neuf ans. Ce résultat favorable au dépistage serait quelque peu gonflé. Ainsi le Dr Dupagne, qui a étudié tous les chiffres, estime que l’étude permet simplement de dire « qu’un homme âgé de 55 à 69 ans qui ne pratique pas de dépistage a un risque de 4 pour 1 000 de mourir d’un cancer de la prostate et celui qui pratique un dépistage par PSA ou toucher rectal voit cette probabilité tomber à 3 pour 1 000 ».

Une étude américaine va dans le même sens : pratiquer un tel dosage tous les quatre ans réduirait la probabilité de mourir d’un tel cancer dans… 1 cas sur 1 000. De plus, les hommes qui ont participé au dépistage étaient de 10 % plus nombreux à mourir de ce cancer que les hommes qui n’y avaient pas participé !

Ainsi on ne vit pas plus vieux en pratiquant ce dépistage ! Les raisons de ce paradoxe ne sont pas encore élucidées, mais deux hypothèses sont avancées et semblent se compléter : le bénéfice du dépistage en nombre de vies, pas très élevé, est probablement « compensé » par le nombre de décès supplémentaires qu’un excès de zèle thérapeutique oblige !

En effet, dans la foulée du dépistage, il y a un vrai risque de sur-traitement. Combien d’hommes aujourd’hui se plaignent qu’un dosage du PSA les a conduits à une intervention chirurgicale dont les effets indésirables se sont révélés majeurs. Les cas d’impuissance sont fréquents et l’incontinence urinaire peut parfois être définitive. La balance entre bénéfices et risques ne penche pas clairement du premier côté, d’autant plus que le stress induit par l’annonce d’un cancer de la prostate peut à lui seul être mortel : en effet, une augmentation significative du taux de suicide a été observée, de même qu’une augmentation du nombre de décès par accident cardiovasculaire, notamment dans les premiers mois qui suivent une telle annonce !

Le cancer du sein

En France, son dépistage organisé repose sur le principe d’une convocation pour mammographie gratuite adressée à toutes les femmes de 50 à 74 ans. Alors que ce mode de dépistage est en pleine expansion chez nous, il est fortement remis en cause dans d’autres pays qui l’utilisent depuis longtemps. Ainsi, selon une étude menée au Danemark, où ce genre d’examen a été proposé à des femmes âgées de 50 à 74 ans, aucune réduction significative de la mortalité n’a été observée par rapport aux femmes qui n’ont pas profité de cette campagne. Pire, sur les 17 ans que cette surveillance a duré, si la mortalité du cancer du sein a diminué de 2 % par an dans la population non dépistée, elle n’a diminué que d’1 % par an dans la cohorte étudiée !

Il en est de même chez les femmes de moins de 40 ans : sur les 1 266 femmes qui ont été invitées à faire des examens complémentaires lors d’une grande étude de dépistage, seules 16 présentaient un vrai cancer. Soit, potentiellement, 1 250 faux positifs ! Les mammographies ne sont pas toujours de lecture facile. D’ailleurs, pour la campagne officielle, il est prévu une double lecture de la radio. Enfin, parmi les risques du dépistage, des études américaines se sont également intéressées à la biopsie, qui est préconisée dès que l’on suspecte quelque chose à la radio. Des chercheurs se sont rendu compte que l’examen pouvait être à l’origine de la prolifération des cellules cancéreuses.

Au vu de ces éléments, nous estimons que les mammographies sont inutiles avant 40 ans et à considérer avec prudence aux âges les plus avancés. En tout état de cause, il convient de faire une comparaison avec les radios précédentes et de confirmer le cas échéant par une échographie.

Le cancer broncho-pulmonaire

Nos moyens diagnostiques, aussi sophistiqués soient-ils, sont encore trop peu fiables. L’utilisation du scanner à faible dose dans le dépistage du cancer du poumon en est un exemple caricatural : en effet, cet appareil produit un plus grand nombre de faux positifs que la simple radio thoracique. Autrement dit, cet examen moderne expose des patients à être traités à tort !

 

Les autres dangers du surdiagnostic

C’est en cancérologie que le dépistage pose aujourd’hui le plus de problèmes car les progrès techniques permettent désormais de faire un diagnostic de plus en plus précoce, mais ne permettent pas d’en prédire l’évolution… Y aura-t-il guérison spontanée (environ deux tiers des cas dans certaines localisations !), ou bien le cancer va-t-il devenir maladie ?

De façon générale, il est aujourd’hui établi qu’un certain nombre de cancers détectés par le dépistage systématique n’évoluent pas vers la maladie cancéreuse et ne mettent pas en jeu le pronostic vital. Ainsi, ce ne serait pas moins de 60 % des cancers de la prostate, 15 % des cancers du sein et 15 % des cancers de la thyroïde qui seraient concernés par les effets pervers de ce surdiagnostic. Dans de tels cas, la mise en œuvre d’une chimiothérapie, d’une radiothérapie est non seulement inutile, mais éventuellement fortement nuisible.

Malheureusement, on ne dispose pas aujourd’hui de moyen fiable pour faire la distinction entre les cancers qui vont spontanément disparaître et les cancers qui évolueront en maladie cancéreuse. Par conséquent de nombreux médecins préfèrent « ouvrir le parapluie », c’est-à-dire engager leurs patients sur la voie des traitements lourds et toujours hautement toxiques. Aujourd’hui pourtant, certains médecins remettent en question cette attitude frileuse car elle ne semble rien apporter en terme de réduction de la mortalité. Sans compter que la suite d’examens et l’annonce d’un cancer le cas échéant ont un impact psychologique capable de diminuer l’élan vital. Et d’abaisser les ressources immunitaires de notre organisme. Aussi doit-on s’orienter, et c’est également de la responsabilité du patient de l’exiger, vers une décision concertée : après l’exposé des résultats du bilan et des connaissances établies à ce jour, il est du devoir du praticien de présenter les diverses attitudes thérapeutiques actuelles, les bénéfices et les effets indésirables qu’on peut en attendre, puis de laisser la décision au patient.

 

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